Samedi matin, jour de repos, je me réveille. Je savoure le presque vertigineux bien-être que me délivre la douce chaleur de la couette. Encore à l’abri des assauts, bons ou moins bons que réserve la journée, voilà que, mue par une sorte de bonne conscience (est-elle si bonne ? Cela reste une question) je mets de côté ce ravissement sensoriel pour envisager le programme de la journée.  Je vais faire un zazen bien sûr, la meilleure façon de commencer ce nouveau jour. J’irai cueillir les dernières plantes odorantes du jardin, menthe et mélisse pour les tisanes d’hiver, je ferai un crumble avec les pommes, je commencerai à écrire la lettre d’informations… et soudain, cette pensée explosive : « Je vais vivre ! » Pensée qui s’imposait avec la force vive, la plénitude, d’un vécu bien réel. Rien à voir avec une simple réflexion ou un désir abstrait et sans substance. Elle sonnait, résonnait dans mon être, mon « corps esprit » dirait le maître zen Hirano Roshi, comme une connaissance directe, délivrée par mes sens. Vivre n’est pas une idée, un concept, vivre s’éprouve dans notre chair, notre peau, les sens en éveils. Connaissance aussi, que là était le plus important, ce qui passait avant tout, que là est, sans contestation possible, le fondement de nos existences, mais aussi de toutes nos actions, de tous nos ”faire”.

Faire, faire, faire et oublier de vivre ? Ou vivre, vivre, vivre, et surtout (puisque vivre est de toute façon donné) se sentir vivre et le sentirdans tout ce qu’on fait, que l’on soit immobile, assis en zazen ou que l’on fasse la vaisselle, du vélo, que l’on marche de la cuisine à la salle de bain ou tout autre chose.

Cet événement vivifiant qui m’a saisi ce fameux samedi matin, me rappelle cette phrase de Montaigne qui, demandant à un ami comment il allait en ce jour, eut cette réponse ” Je n’ai rien fait d’aujourd’hui ”. Ce à quoi Montaigne répondit : « Quoi, n’avez-vous pas vécu ? C’est non seulement la fondamentale, mais la plus illustre de nos occupations ! ».

Pourtant, on ne nous apprend pas à goûter la vie. Dès le plus jeune âge, il faut apprendre à penser la vie et à penser notre vie. Et c’est ainsi que peu à peu, nous nous coupons de la substantifique moëlle de notre existence, nous nous coupons du contact direct avec la vraie saveur, la profonde sensualité de ce que nous sentons de nous-même et du monde qui nous entoure, et nous les transformons en concepts abstraits et sans consistance. Il est dommageable que le goût de vivre soit inexistant de nos apprentissages, car ce faisant nous nous coupons de notre vraie nature, de notre essence, du vrai soi-même qui n’a rien à voir avec ce que nous pensons de nous-même. La seule chose dont on soit sûr à propos de nous-même, qui ne soit pas une spéculation sur nous-même, c’est qu’en ce moment nous vivons. De tout le reste on peut débattre, de cela non.


Dans le travail que je propose ” La Voie de l’Action” on s’achemine vers ce retour à « l’expérience Être » (seinserfarhung dit Dürckheim) à la source, à l’origine, cet état d’être, rond, plein, entier et éternel, dans lequel tout enfant bien traité a vécu, et dont la plupart d’entre nous avons la nostalgie (sans en avoir toujours conscience d’ailleurs ; mais d’où nous vient ce désir constant d’être aimés, embrassés, reliés, unis, ou de s’étourdir de plaisirs, de travail, ou de pensées ? A coup sûr, pour ne pas être confrontés à une vie vidée de suc, à la peur du vide donc. Devenus incapables d’apprécier pleinement le simple fait de voir, d’entendre, de sentir et goûter, le mental (ou pour certains, la recherche de sensations de plus en plus fortes), pour combler ce manque, finit par tout dominer, nous éloignant d’autant de ce qui pourrait nous combler.

Pour retrouver « le fil d’or qui nous relie à notre profondeur » (K.G. Dürckheim) et apprendre à demeurer dans cette présence à nous même en tant qu’êtres doués de vie, on commence petit : allumer une bougie dans la pleine attention, on pourrait aussi bien dire ”dans la pleine sensation” de chaque geste. Marcher, s’asseoir, bouger lentement, pour tout sentir, sentir aussi la manière la plus juste, la plus naturelle d’agir. Et pour finir, je voudrais ajouter pour celles et ceux qui craignent de trop sentir parce qu’ils souffrent dans leur corps, que l’action juste ne fait pas mal. La plupart du temps la douleur met en lumière le fait que notre action n’est pas juste et que nous résistons, nous bloquons. Je ne parle évidemment pas des douleurs dues à la maladie, ou à un accident, quoique cet apprentissage s’avère d’une grande aide dans ces cas-là aussi. Il nous enseigne en effet, la manière de nous libérer des tensions inadaptées anciennes et actuelles, et comment ne pas les garder et les accumuler en soi.

Hormis cet aspect purement physique, l’acte juste c’est à dire libre et naturel, fait dans la pleine sensation (je préfère ce mot à celui souvent utilisé de conscience) nous fait cheminer vers l’épanouissement de notre vraie nature, fondamentalement confiante. En effet, lorsque l’on renonce à ses crispations rétrécissantes, recroquevillantes, nous dé-couvrons, la confiance nichée au fond de nous.

Anne Vincent

La journée aura lieu à Saint Thibault à 20mn du centre-ville de Troyes dans un lieu calme et arboré.

Elle se déroulera en une alternance de méditation (zazen) de marche méditative (kin hin), d’exercices corporels de centration proposés au Centre Dürckheim et d’exercices d’eutonie. Temps de repos et promenade.

 Le repas de midi est pris en commun, chacun apporte quelque chose à partager.