
Bonjour à toutes et tous,
Je vous avais préparé une longue lettre dont le titre était : « L’exercice sur la Voie ».
Comme je désirais avoir l’avis d’une personne neutre sur le sujet, je l’ai donnée à lire à ma fille. Sa première question a été : « C’est quoi la Voie maman ? ». Surprise, j’ai pris conscience que ce qui me paraissait une évidence ne l’était en fait pas du tout.
Du coup changement de cap, j’ai mis de côté ma première lettre pour en écrire une autre sur ce sujet.
Qu’est-ce que la Voie ? Ici, il faudrait déjà ajouter quelques mots car il existe une quantité de Voies. Alors quels termes choisir pour définir celle sur laquelle je me suis engagée depuis plus de 30 ans ? La Voie Spirituelle ? La Voie du Zen ? La Voie tracée par K.G. Dürckheim ?
Il s’agit en fait de tout cela : une Voie spirituelle qui prend ses racines dans le zen que Karlfried. Graf. Dürckheim a étudié et pratiqué pendant 10 ans au Japon (1937 1947) puis (en l’épurant des rites propres à la tradition asiatique) transmis en Occident, et cela, jusqu’à la fin de ses jours (1988).
Mais dans quel sens disons-nous que cette Voie est spirituelle ? Elle l’est, non pas dans le fait d’adhérer à une religion ou à une croyance, mais parce qu’elle est un chemin de libération de notre vraie nature, de notre nature essentielle, non conditionnée par les injonctions de la société, non formatée par l’éducation et les habitudes, non assujettie aux désirs et aux refus propres à l’ego, et qu’elle demeure de ce fait, intacte et pure, comme l’est un nourrisson au berceau.
Mais que signifie t-on au juste par « vraie nature », « nature essentielle » ?
Il est très difficile de répondre à cette question. Par chance, il est un magnifique texte qui contient pour moi les réponses. C’est le texte écrit par le philosophe André Comte Sponville à l’occasion du 25ème anniversaire du Centre Dürckheim. Dans cet écrit il évoque une expérience… celle, inoubliable, que l’on éprouve justement lorsqu’on recontacte sa vraie nature… Dans ce sens on peut dire d’elle quelle est une expérience « mystique naturelle ».
« Je ne suis pas du tout un mystique. Je suis plus doué pour la pensée que pour la vie, et plus doué pour la pensée conceptuelle que pour l’expérience spirituelle. Mais j’ai eu au moins quelques moments de simplicité ; en vérité, extrêmement rares. Cependant, la première expérience était assez forte et assez nette pour que toute ma vie en soit définitivement changée. Toute ma vie et toute ma pensée. Je devais avoir 25 ans. Je me promenais avec des amis, la nuit, dans une forêt. Nous étions quatre ou cinq. Plus personne ne parlait. Tout à coup, voilà une expérience que je n’avais jamais vécue. C’était quoi cette expérience ? C’était un certain nombre de mises entre parenthèses.
Mise entre parenthèses du temps ; c’est ce que j’appelle l’éternité. Tout à coup, il n’y avait plus le passé, le présent, l’avenir. Il n’y avait plus que le présent. Là où il n’y a plus que le présent, ce n’est plus du temps, c’est de l’éternité.
Mise entre parenthèses du manque. Tout d’un coup et sans doute pour la première fois de ma vie, plus rien ne manquait. Mise entre parenthèses du manque ; c’est ce que j’appelle la plénitude.
Mise entre parenthèses du langage, de la raison, du logos ; c’est ce que j’ai appelé le silence. Pour la première fois peut-être de ma vie, je n’étais pas séparé du réel par des mots. J’étais de plain-pied dans le réel.
Mise entre parenthèses de la dualité. À la fois de la dualité entre moi et tout le reste ; c’est ce que j’appelle l’unité. J’étais un avec, un avec tout.
Mise entre parenthèses aussi de la dualité entre moi et moi, entre la conscience et l’égo. Je n’étais qu’une pure conscience sans égo ; c’est ce que j’appelle la simplicité.
Mise entre parenthèses de l’espérance et de la peur. Bien sûr, puisque j’étais dans le pur présent. Pour la première fois de ma vie peut-être, et pour l’une des dernières, je n’avais peur de rien. Ça, c’est une expérience très étonnante. Tout à coup, vous n’avez peur de rien ! C’est ce que j’appelle, c’est ce qu’on appelle la sérénité.
Mise entre parenthèses du combat. Tout à coup je n’avais plus à me battre. C’est ce que j’appelle la paix.
Enfin, mise entre parenthèses, et c’était le plus étonnant, de tout jugement de valeur ; et c’est ce que j’ai mis plusieurs années à appeler l’absolu.
Naturellement, tous ces mots, trahissent l’expérience, parce qu’elle était, par définition, intégralement silencieuse. »
André Comte Sponville
Chacun de nous, comme André Comte Sponville, a pu vivre ces moments étranges ou nous nous sentions touchés par une ambiance hors du commun.
Se mettre sur la Voie, y persister, c’est pratiquer fidèlement un exercice, afin que les qualités perçues lors de ces expériences, parfois extrêmement fugaces, ne restent pas seulement de beaux souvenirs étrangement touchants, mais s’incarnent véritablement en nous pour devenir… une manière d’être.
Devenir l’homme, la femme, que l’on s’est senti.e. être durant ces expériences, voilà ce à quoi nous convie la voie spirituelle qu’est le zen. Et pour celles et ceux qui ne se souviennent pas avoir vécu de tels moments, il en va de même. En effet les qualités évoquées ci-dessus par A.C. Sponville (qui annonce clairement ne pas être un mystique) sont accessibles à tout être humain. La plénitude, la paix, la simplicité, l’unité, le silence, la sensation d’éternité… peuvent cueillir chacun d’entre nous, dans un simple touché, un son, une couleur, un couché de soleil, une promenade en forêt, lors d’un concert, en buvant un bol de thé ! Il faut simplement apprendre à se mettre à l’écoute… par tous nos sens !
Anne Vincent